La plus grande révolution technologique se poursuit. Débutée dans les années 2010 l’informatique infonuagique est adoptée dans l’enthousiasme général, tant par les ministères et services publics de nombreux pays que par les entreprises, petites et grandes, et les travailleuses et travailleurs indépendants.
Steve Wozniak, le co-fondateur de Apple, servait cet avertissement en 2012. Citation :
Je m’inquiète vraiment de voir tout passer au cloud. Cela apportera de nombreux et très sérieux problèmes dans les cinq prochaines années. Avec le cloud, vous ne possédez rien.
https://phys.org/news/2012-08-apple-co-founder-wozniak-cloud.html
L’essentiel n’est pas tant dans la période à l’intérieur de laquelle les problèmes surviendront, que dans cette phrase de conclusion « Avec le cloud, vous ne possédez rien. »
Le miracle du cloud
Tout le génie du XaaS (quelque chose… as a Service) repose sur le fait qu’il est garant des futurs méga profits des entreprises qui le proposent. Remarquons que nombre d’acteurs technologiques s’y sont mis. Que nous pensions à Adobe avec sa solution Creative Cloud, depuis longtemps Google avec Workspace suivie par Microsoft avec le lancement de Office 365 (aujourd’hui sous appellation Microsoft 365) pour ne citer qu’eux.
Au niveau des plateformes, Oracle et IBM n’ont jamais été en reste. Bien au contraire, ces compagnies furent des précurseurs. Parallèlement, Microsoft avec Azure mettait la table dès 2010 pour ses clients d’affaires. Lequel Azure repose d’ailleurs beaucoup sur Linux. À ce sujet ce n’est pas le fruit du hasard si Linux est toujours davantage imbriqué à Windows depuis l’arrivée de la version 10 de cet OS en communication synchrone.
Très vite, chacun des fournisseurs de solutions technologiques pour les entreprises et les grosses organisations y a été de ses services infogérés, CRM, ERP, autres outils de développement low-code ou no-code (comprendre à faible utilisation de code de programmation pour celle ou celui qui développe une solution client sur-mesure à l’intérieur de son organisation).
Aujourd’hui l’intelligence artificielle intègre dynamiquement ce conglomérat d’outils. Il faut dire que la centra-localisation des données de l’ensemble, ses accès multipliés, facilitent l’émergence d’utilisations qui n’étaient encore qu’imaginées, à une époque pas si lointaine.
Avec le cloud, vous ne possédez rien
Avec le cloud, on ne possède rien. Ni la plateforme sur laquelle repose la solution, ni la suite des applications proposées — lesquelles sont louées et pas achetées — et par conséquent, ni les applications éventuellement développées en low-code ou no-code par une personne à l’interne. On ne possède pas le serveur qui héberge nos données — et quand bien même le serveur nous appartiendrait, la plateforme technologique non.
Plus les utilisateurs, entreprises, administrations publiques migrent vers une solution infonuagique, plus ils en deviennent dépendants, les services proposés et adoptés s’étoffent, il est alors toujours plus difficile d’en changer. Le choix de départ de la solution est donc crucial.
À notre échelle de simples utilisateurs, qui parmi nous n’a jamais eu l’envie de passer à une autre plateforme? Tel propriétaire d’un téléphone mobile Android voudrait passer à Apple. Vœu pieux puisque son cloud est chez Google peut-être depuis 12 ans, photos géolocalisées, reconnaissance faciale. Un changement de fournisseur infonuagique compliquerait tellement les choses. Alors il y renonce, quand bien même la solution actuelle plairait moins, ou que ses tarifs augmenteraient.
Imaginons le cas d’une administration. Même si les décideurs le voulaient, l’investissement déjà engagé, humain, en formations, financier, technologique, les convaincrait certainement de ne pas s’engager dans la voie d’un nouveau changement lequel serait certainement perçu comme un rétropédalage inutilement compliqué et coûteux.
Et ne nous y trompons pas. Un jour ou l’autre les GAMIO (Google, Amazon, Microsoft, IBM, Oracle) augmenteront leurs tarifs. Et parions que ce sera des augmentations substantielles. Cela se produira lorsque l’intégration infonuagique sera suffisamment avancée pour qu’il soit extrêmement difficile (et cher) pour les clients concernés de choisir une autre solution. Reparlons-en dans 5 ou 10 ans.
Ces grands projets infonuagiques qui ont grippé
Par une question adressée durant l’été au ministère français de l’Éducation nationale, le député Philippe Latombe avait alerté sur la gratuité des outils bureautiques de l’écosystème Microsoft 365 pour les élèves et les enseignants, notant que cette pratique pouvait s’apparenter à une forme de « dumping et à de la concurrence déloyale » incitant un usage à long terme, en l’absence d’appel d’offres.
Dans sa réponse au député, publiée en novembre 2022, le ministère de l’Éducation nationale a indiqué avoir demandé l’arrêt de « tout déploiement ou extension de cette solution, ainsi que de celle de Google, qui seraient contraires au RGPD » comprendre que ces solutions infonuagiques propriétaires, en l’occurrence celles de Google et Microsoft, sont sérieusement problématiques puisque potentiellement soumises au Cloud Act américain (appropriation possible des données par le gouvernement US et principe appliqué d’extraterritorialité des lois américaines sur ces mêmes données). 1
Quelques semaines plus tard, l’Allemagne emboîtait le pas à la France.
Dans d’autres cas, à l’image de ce méga projet de migration vers le cloud de Google par la Ville de Montréal au Québec, des irrégularités dans l’attribution du contrat a fait capoter le tout. Et a fait perdre au passage des dizaines de millions de dollars à la Ville, c’est-à-dire à ses citoyens. On peut se consoler en se disant que valait mieux tard que jamais. Chaque année avant que le choix ne se porte sur une autre solution ou un autre prestataire aurait décuplé les pertes 2
Un troisième cas de figure qui est régulièrement mentionné dans l’univers TI de l’infonuagique est « le manque de maturité de l’organisation qui entame son processus de migration ». Par manque de maturité, nous comprenons que l’organisation n’était pas prête pour cette migration. Les infrastructures, ou plutôt les applications de l’organisation faisaient d’entrée de jeu courir un risque d’échec. Ou la préparation des collaborateurs. Aucune firme de consultants spécialisés n’a été sollicitée. Ou la firme engagée n’as pas vu, ou pas osé voir venir le problème. S’ensuit des augmentations de délais et de coûts dans le déploiement de la nouvelle solution. 3
In fine, le problème n’est pas dans le cloud mais dans le propriétaire
L’infonuagique est une percée incontestablement avantageuse. Rendue possible surtout dès les années 2010 du fait de l’accroissement exponentiel de la vitesse dans le débit des données, d’abord simples fichiers, puis applications et enfin systèmes d’exploitation entiers — ou anciens codes cloisonnés dans des dockers et émulés — peuvent désormais être utilisés à distance dans un synchrone fluide.
Une option, si on veut éviter que les impôts des contribuables soient dans quelques années engloutis toujours davantage dans les frais des solutions infonuagiques au profit des corporations gloutonnes du monde de la tech, consiste à se tourner vers le cloud OpenSource, non-propriétaire et auto-géré, sur lequel tout spécialiste peut travailler et auquel toute personne peut contribuer.
L’univers OpenSource pas en reste
Car des solutions solides existent, certaines sont modestes à l’image de la kSuite proposée par l’hébergeur suisse Infomaniak. Parfaite pour les PME qui souhaitent passer rapidement à une infonuagique qui repose sur des outils OpenSource sans avoir à engager, ni des ressources financières importantes, ni trop de temps.
OnlyOffice est une autre alternative. Choisie par plusieurs organisations et collectivités dont la firme TI nationale Suisse SWITCH, la Ville de Hopewell en Virginie (500 fonctionnaires) et l’observatoire espagnol de Calar Alto ou encore la Télévision tchèque, OnlyOffice se décline en plusieurs versions, pour les particuliers, entreprises et développeurs. Nous en parlions dans ce billet.
Pour un cloud personnel les utilisatrices et utilisateurs qui souhaitent se libérer des infonuagiques Apple et Google liés à leurs téléphones mobiles, peuvent déployer la solution privée Umbrel qui repose sur Linux et permet la création d’un nuage situé physiquement chez soi. Nous l’annoncions ici.
Docker sur OpenSource
Des administrateurs en migration infonuagique, des gestionnaires de grosses organisations ou encore des consultants en gestion du changement pourraient être questionnés sur la pertinence technologique de se diriger vers de l’OpenSource, particulièrement avec l’inquiétude de savoir si les solutions libres sont aussi solides, sécuritaires et pérennes que celles proposées par les GAMIO. En guise de réponse rappelons que plusieurs des solutions propriétaires les plus utilisées reposent elles-mêmes en grande partie sur de l’OpenSource.
Par ailleurs, des solutions de containérisation telles que Docker utilisées dans les organisations d’envergure sont à code ouvert. Et bien que Docker ne soit pas libre de droits (copyleft) la compagnie fournit les composants et les outils nécessaires pour aider les développeurs à créer et à expédier leurs applications afin qu’elles puissent être exécutées partout. Au cours des dernières années, des millions de personnes dans le monde ont téléchargé ces composants de conteneurs.
Docker serait parfait par exemple pour permettre l’émulation d’une ancienne application écrite en COBOL et cloisonner celle-ci à l’intérieur d’un container, que le nuage soit sur une plateforme propriétaire ou non. Les possibilités sont quasi-infinies.
Pour résumer
Nous l’aurons compris. De faire le bon choix entre les solutions propriétaires ou libres c’est s’orienter vers des économies qui se monteront éventuellement à des centaines de millions de dollars au fil des ans, et des gains inestimables en termes de protection des données personnelles et, en conséquence, d’éthique.
Un défi pour une entreprise et toute autre organisation consiste à s’entourer de plusieurs professionnels du monde OpenSource, comme c’était de coutume dans le passé avec l’informatique traditionnelle d’avant la révolution infonuagique, pour planifier et déployer des solutions qui soient normalisées et conformes.
Tout ceci, pour autant qu’on ne veuille pas abandonner sa vie numérique d’entreprise, pour ne pas dire carrément la vie de son entreprise, aux mains des méga firmes technologiques. Une question de choix, d’audace et de stratégie.
Affaire à suivre… 3
3 Sommes-nous en train de vivre la nuage-inflation? (ici en anglais sur InfoWorld)